Anamnèse

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Anamnèse/hypomnèse (Mémoire)
 
 
Le couple grec de l’anamnèse et de l’hypomnèse aide à questionner la mémoire.
 
Anamnèse. Issu du grec ána (remontée) et mnémè (souvenir), ce terme signifie une réminiscence, c’est-à-dire un ressouvenir. On distingue deux dimensions dans la mémoire : l’enregistrement que les Grecs appelaient « mnesis » et les Latins « memoria », et la remémoration que les Grecs appelaient « anamnesis » et les Latins « reminiscientia ». Enregistrer ne suffit pas, il faut ensuite faire remonter ou revenir ce qui a été enregistré.
 
Hypomnèse. Ce terme désigne toutes les techniques de mémoire, aussi bien les aide-mémoires, exercices et autres « arts de la mémoire » que les enregistrements matériels de toutes sortes, c’est à dire les hypomnémata.
La condition de toute mémoire vive (anamnèse) est qu’elle puisse se projeter hors d’elle-même (hypomnèse, hypomnémata) pour dépasser sa finitude, pour se nourrir et se transmettre. Contrairement à Platon1, nous pensons qu’il n’y a pas d’anamnèse sans hypomnèse2, ou que l’extériorisation de la mémoire n’est pas la mort de celle-ci mais sa condition même. Aussi doit-on distinguer, mais ne doit-on pas opposer ces deux mémoires.
 
L’enregistrement seul est une mémoire morte et la remémoration, requise par la lecture par exemple, est typiquement une activité qui ne peut être entièrement déléguée et agencée sous une forme technique. A l’heure où la mémoire (prothétisée) est définitivement en train de changer de support ou de milieu, Ars Industralis tente de réfléchir au moyen de préserver une complémentarité entre ces deux faces de la mémoire3.
 
Où se loge la mémoire ? Tout l’enjeu est donc de ne plus répondre « dans la tête ». À la fin du XVIe siècle, dans son Iconologia, consacrée aux images des « choses qui sont en l’homme même et inséparables d’avec lui », Cesare Ripa donne à Mémoire un double visage, avec une plume en la main droite et un livre en la gauche. Ainsi, la mémoire (individuelle et sociale) n’est pas seulement dans les cerveaux mais entre eux, dans les artefacts. La mémoire n’est pas interne, elle est essentiellement un processus d’extériorisation. Ma mémoire n’est pas ma mémoire4.
 
 
1 Pour Platon (Phèdre, Ménon) l’anamnèse était connaissance, acte par lequel l’âme se remémore et connaît (réminiscence des Idées), tandis que l’hypomnèse  ne désignait que les aide-mémoires, les techniques extérieures de mémoire (dont l’écriture !), qui n’étaient pas, selon lui, des procédés de connaissance, mais leur perversion (comme la rhétorique, la sophistique).
 
2 Tout cela est désormais bien connu des philosophes : ce qui ouvre chez Husserl la problématique derridienne est la pensée de la genèse hypomnésique de l’anamnèse géométrique.
 
3 Dans nos termes la question devient : comment penser un enregistrement hypomnésique en corrélation avec le souvenir anamnésique ? L’enjeu, à l’heure du numérique, est donc de travailler à des structures hypomnésiques qui ne se substituent pas mais suscitent et favorisent l’anamnèse.
 
4 « Les pensées que l’on garde pour soi, se perdent ; l’oubli fait voir que soi, que moi, ce n’est personne » (Paul Valéry, Analecta, CXIX, 443). Paul Valéry a bien compris que la mémoire c’est l’homme, ce « pouvoir des choses absentes », et que cet homme est enfermé au dehors. « L’homme est animal enfermé – à l’extérieur de sa cage. Il s’agite hors de soi » (Paul Valéry, Tel Quel, Gallimard, Folio, p. 92[.]).