prière pour les journaux

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... dont ceux de Florence Aubenas, qui s'inscrivent dans ce que l'on appelle le combat historique (toujours à rejouer) pour la liberté de la presse. Et pour la libération de la presse, donc, qui est, et toujours aussi, cependant, un organe de pression. Car telle est la question ambiguë de l'hypomnésis finalement, et ce, dès Platon.

Il faudrait, en ce jour de repos (c'est dimanche), se pencher sur ces questions à la lumière de l'énoncé célèbre où Hegel relève que la lecture du quotidien a remplacé la prière du matin - Dieu est mort. Il y a une histoire des circuits du désir où se forment les échanges symboliques à travers les techniques de ce que Platon appelle donc l'hypomnésis, le support de mémoire artificielle, dont les sophistes se sont déjà à son époque emparé, hypomnésis que Platon condamne de ce fait, fondant ainsi la philosophie comme métaphysique, comme malentendu où la philosophie se rend tout aussi bien incapable de penser la technique, prenant l'effet (que les hypomnémata soient entre les mains des sophistes des instruments de manipulation de la doxa, de l'opinion, étant mis au service d'un pithanon, la technique de persuasion, dont le contrôle contemporain des motivations par le marketing n'est que la version la plus récente) pour la cause (Platon condamne l'écriture comme ce qui rend possible la tromperie généralisée). Hypomnésis que Foucault, tardivement (en 1983), étudie comme l'histoire des pratiques des hypomnémata précisément en tant que conditions mnémotechniques de l'individuation dans l'otium.

L'hypomnématon D'AUJOURD'HUI est le support de communication et d'information, au XXè siècle organe des médias de masse, et qui forme désormais le vaste appareillage numérique des technologies de contrôle, de plus en plus nomades, s'intégrant en réseaux filaires ou wifi à d'autres objets semblables.

Ars Industrialis affirme qu'en tant qu'hypomnémata, les supports numériques devraient pouvoir devenir, en droit, des technologies de l'esprit au service d'un otium du peuple et d'une relance du désir (c'est à dire au service d'une intensification des singularités). Une politique industrielle digne de ce nom pourrait en faire un nouvel âge de l'individuation, plutôt que celui de la désindividuation généralisée et de la misère symbolique. C'est cela, la constitution à venir de l'Europe, qui devrait être ce que Hegel, encore lui, appelait " le dimanche de la vie " - ce jour de la semaine qui est (tant que Dieu, objet d'une certaine époque du désir, demeure bien vivant), l'otium du peuple, et non seulement son opium, comme l'y réduisait Marx : cet otium, c'est ce que Nicolas Sarkozy, tout en écrivant des livres sur la nécessité de la religion, tout en se signant devant le navire que l'on baptise et met à l'eau, en route pour l'aventure, voudrait liquider une bonne fois pour toutes, et que la boutique fonctionne 24 heures sur 24. Pour la " relance de la consommation ".

Constituer l'Europe est la tâche à venir. C'est aussi le titre de mon prochain livre, en deux volumes : Constituer l'Europe 1. Dans un monde sans vergogne, et Constituer l'Europe 2. Le motif européen, à paraître au éditions Galilée le 15 septembre 2005.