Petit texte envoyé à Books

Publié par sportnoy le 20 Mars, 2015 - 14:01
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Votre éditorial (Books numéro de mars) a fait naître en moi ces quelques réflexions.

Les fanatiques, islamistes ou autres, sont des intempérants d’absolu, pour reprendre une expression d’Albert Camus. L’intempérance d’absolu, d’idéal ou encore la soif de perfection, de totalité, d’harmonie fusionnelle sont là, potentiellement actives en chacun et nous gouvernant si nous ne faisons pas un travail quotidien pour les déjouer et nous en émanciper. Ces intempérances sont liées à nos parties primaires et au désir de protection parfaite auquel aspire l’enfant toujours présent en chacun et l’ego omnipotent qui s’en fait le relai. Nos instances primaires sont toujours déjà là sans qu’il n’y ait aucun effort à faire, alors que l’évolué en chacun n’est jamais acquis, jamais gagné : par un travail sans relâche, il faut le reconquérir sans cesse en nous libérant du primaire qui nous maintient « petit » ou nous tire en arrière.

Il faudrait dire à tous les fanatiques que la vie ça s’apprend, que l’on est jamais grand, adulte, sans faire inlassablement un travail permanent sur soi. Leur dire aussi, que ce n’est pas à 20 ou 30 ans que l’on a fait le tour de la condition humaine pour suffisamment la comprendre, la découvrir dans le temps et l’assumer pour ce qu’elle est en réalité. Le totalitarisme qui se nourrit d’un « tout savoir » omnipotent sans l’ombre d’un doute participe d’un manque de lucidité sur la condition humaine. Il se nourrit d’imaginaire et de toute-puissance infantiles.

Dans son livre Soumission, M. Houellebecq fait dire a un de ses personnages que, dans l’islam, il y  a soumission de l’homme à Dieu parce que l’islam considère le monde créé par Dieu comme parfait ; le croyant musulman accepterait donc ce monde dans son intégralité sans prétendre à quelque liberté individuelle que ce soit puisqu’il est parfait. En ce sens, prétendre à la liberté impliquerait de renoncer à être un intempérant de perfection qui, indifféremment, se soumet ou soumet pour que règne quelque toute-puissance divine ou terrestre.

Au plus profond de sa psyché, derrière ses arguments affichés, celui qui se positionne au monde à partir de sa révolte rageuse de supposée victime s’en prend, me semble-t-il, à la vie parce qu’elle n’est pas parfaite à l’aune de ses illusions ; en d’autres termes, une telle personne est aliénée à ses parties primaires, à ses visions simplistes, à ses intempérances d’absolu, à sa détestation de l’existence imparfaite. Et comme le monde contrarie ses illusions, l’intempérant d’absolu pour justifier sa colère s’invente n’importe quel bouc émissaire à condamner. Albert Camus, dans "l'homme révolté" analyse et dénonce magistralement chez le terroriste cette révolte immonde, ce desir d'apocalypse, de fin du monde.

Le révolté doit l’être d’abord et avant tout contre ses parties immatures, irresponsables, intolérantes qui le font assassiner la vie imparfaite prise dans les dualités et aux prises avec l’incertitude, le manque, le doute, la finitude, etc.

Il ne faut pas vouloir refaire le monde, juste empêcher qu’il se défasse sous les coups de nos illusions mauvaises.

« Contre la connerie humaine, soyons des Sisyphes », légendes figurant dans les bulles du dessin illustrant la couverture de mon dernier ouvrage qui vient de paraître : « L’immaturité en chacun, source de l’individualisme contemporain ».