Un système humain de travail n'est pas un moteur !

Publié par tcuriale le 4 Mai, 2012 - 15:17
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Dans une grande organisation du travail oeuvrant sur le marché des Nouvelles Technologies, un mot récent du Directeur des Ressources Humaines précise que, malgré les indicateurs désormais passés au "vert" qu'expose un baromètre social interne, la vigilance concernant l'état du corps social doit être plus que jamais maintenue...
 
 
Si il est assez instructif, et sans doute rassurant, de constater que les ratios qui décrivent l'état du corps social à travers un baromètre interne semblent désormais passés dans une zone verte, il n'en reste pas moins que les tensions qui le traversent semblent persister selon les dires de ce même Directeur des Ressources Humaines.
 
Outre le fait que ces propos supposent l'existence possible d'une météorologie du corps social qui mériterait sans doute d'être définie, ces indicateurs m'invitent à penser que la rationalisation (l'art et la manière d'établir des ratios pour mesurer quelquechose comme par exemple la "météo") reste avant tout fondée sur un paradigme mécaniste comme si on pouvait attribuer au corps social un certain nombre de "vu-mètre" pertinents afin d'en mesurer son fonctionnement ou son dysfonctionnement par rapport à une norme. Ce qui n'est pas sans rappeler au passage les débats houleux et toujours en vigueur sur les rapports plus que relatifs du normal au pathologique tant au niveau individuel que collectif. Mais passons.
 
Un collectif d'individu ne constitue en aucune manière un mécanisme tel un moteur composé de pièces asservies les unes aux autres et pour lequel, en cas de dysfonctionnements, il suffirait de remplacer ou de réparer certaines d'entre elles pour que ça reparte ! Il s'agit plutôt, chacun le sait, d'un système de relations humaines toujours changeantes en fonction de contingences externes (le marché, la concurrence mais aussi les ruptures technologiques, etc.) et internes (organisation, fonctionnement, mode de management, relations interpersonnelles, dispositifs techniques, etc.), un système où l'interdépendance est reine mais avec une particularité notoire en quoi consiste l'autonomie toujours possible (1) de chacun (ce qui n'est pas le cas des pièces d'un moteur qui ne jouissent pas d'un pouvoir de décision).
 
Aussi les ratios sont-ils sans doute nécessaires mais jamais suffisants pour mesurer mais aussi et surtout comprendre un système de relations organisées autour d'une finalité productive. Si la réparation est naturellement associée à la vision mécaniste - elle reste de ce point de vue assez "angélique" quand on croit pouvoir réparer des relations humaines -, la régulation quant à elle est associée à la vision systémique notamment, mais non exclusivement, pour ce qui concerne les systèmes humains de travail organisé. Or il y a encore beaucoup à faire, me semble-t-il, pour instruire la question de cette régulation, dite sociale, pour la simple et bonne raison qu'elle vise essentiellement à travailler (modifier, transformer) les représentations que chacun se fait des rapports de production c'est-à-dire des rapports de subordination et plus largement de l'exercice du pouvoir voire de la domination.
 
De ce point de vue quand le Directeur des Ressources Humaines dit, dans son mot destiné aux managers et uniquement à eux, que "l'autorité managériale doit être pleinement respectée et soutenue", on a immédiatement envie de lui opposer la double question suivante : quelles sont les conditions réelles et forcément négociées qui puissent fonder d'une part l'autorité managériale et d'autre part son respect et son soutien? Car en effet le respect et le soutien d'une telle autorité, une fois qu'elle a fait préalablement l'objet d'un accord sur la définition de son exercice, n'est pas une donnée de fait notamment parce qu'elle est intimement liée à la question de la légitimité managériale. Ce qui, pour finir, n'est pas sans lien avec la période électorale qui est la nôtre où il est question de ré-interroger la res publica (la chose publique), c'est-à-dire les fondements de la République dont toute organisation du travail n'est qu'une particularité.
 
Thierry Curiale
 
(1)Autonomie relative il faut l'admettre notamment à cause de cette interdépendance dont il conviendrait de définir les termes mais nous n'en avons pas le temps ici même.