Les deux plateaux de la balance

Publié par tcasalonga le 15 Avril, 2009 - 20:19
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Le 09.04.11, après le procès Colonna et la manifestation de Bastia: 
 
      Il fut un temps où « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas *» luttaient ensemble pour un avenir meilleur. Il fut un temps où ce qui réunit les êtres était plus fort que ce qui les sépare. Il fut un temps où la fin ne justifiait pas d’user de n’importe quel moyen.
 
      Mais, fut-il vraiment, ce temps-là ? Non, sans doute, mais il est en nous comme un désir si profondément ancré que lui seul nous permet de résister aux pulsions morbides qui nous saisissent parfois. Qui nous saisissent surtout quand nous voyons les idées les plus belles perverties par ceux qui devaient les défendre, quand nous sentons monter l’odeur qui se dégage des vastes champs d’épandage d’une société qui saccage ses richesses en croyant seulement les consommer.
 
      Alors, que faire: détruire, construire? Pourquoi l’un plutôt que l’autre ? Et puis détruire quoi, construire quoi? 
 
      Même ceux qui ont choisi de tenter de construire doivent s’efforcer de comprendre que seule la désespérance a conduit certains à faire l’autre choix, et que donner la mort n’est que le dernier degré de cet état. Il faut également comprendre que ceux qui en arrivent là sont aussi les victimes de leurs propres actes, et que leur cas ne peut être équitablement examiné que sous le double aspect de la responsabilité individuelle et de l’enchaînement des causes et des effets: dans l’assassinat de Claude Erignac, il y a comme une démarche fatale que nous avons peut-être vu arriver, mais que nous n’avons pas su interrompre.
 
      Cette pensée, bien sur, est très forte ici et maintenant, mais elle dépasse les rivages de notre île et les limites du moment. C’est la marche du monde elle-même qui en vient à nous procurer ce sentiment d’échec et même d’horreur.
 
      Quant à cet échec, à cette horreur, s’ajoute le trouble que provoque l’apparition du spectre d’une  vendetta d’Etat, comment ne pas s’interroger : comment tout cela va-t-il finir ? Certes, la confusion règne depuis le début sur les deux plateaux de la balance, et le comportement des justiciables ne nous éclaire pas plus que celui de leurs juges.
 
      Mais est-ce une raison suffisante pour que nous n’ayons plus le choix qu’entre « donner des canons aux enfants, ou donner des enfants aux canons** » ?
 
 
Toni Casalonga
 
 
 
*     Louis Aragon, « La rose et le réséda », publié sous l’occupation dans le journal Le mot d’ordre en 1941
**   Jacques Prévert, « Tentative de description d’un diner de têtes à Paris-France, in Paroles, 1946