L'esthétique Ars Industrialis

Publié par szarka le 12 Juin, 2008 - 10:49
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Le théâtre de la Colline : la scénographie de la pièce en cours est en place. En avant scène, un matériel est spécialement ajouté, le même à chaque rendez-vous : une table et des chaises, des micros et un dictaphone. Une pénombre propre à la salle de théâtre obscurcit le lieu. Les intervenants s'installent, et cela commence sans tarder avec précision et densité : une heure à une heure et demi de discours repartie entre eux. Enfin, une grosse demi heure (minimum) dévolue au débat. Je pense à plusieurs types de rencontres qui ressemblent à ce à quoi j'assiste : colloque universitaire, conférence,débats'

Voyons maintenant ce qui l'endistingue.

1) La diversité du public, tellequ'elle se manifeste ostensiblement lors du débat. Plusieurs personnes prennentla parole, plus ou moins à l'aise, indiquant éventuellement leur intérêt d'êtreprésentes. Je suis hors de la "société des experts"(1).

2) La fréquence des rendez-vous : tous lesdeux mois environ.

3) La ligne des sujets discutés et la façon dont ils le sont (ce qui n'est pas délié des aspects précédents, les explique sans doute) : retour après retour, questions sur les enjeux culturels, politiques, technologiques, nationaux, européens, et au-delà, actuels, dans une acuité extrêmement vive ; et tel qu'ils ne le sont jamais dans le débatpolitico-médiatique.

Aparté:

Quelques instants de distance scopique, je laisse la parole de l'intervenant aller sans plus en écouter le sens, mais juste la musique, et la restitution opère, de ce qui ce passe, dans le cadre dans lequel cela se passe : cette scène, ce décor (un intérieur factice). Une parole politique en cours, depuis la scène, en disjonction d'un « jeu d'acteurs » usuel. Une responsabilité maximale et assumée du discours, dans une écoute générale.

Cette table, ces chaises et micros. La militance passe par la proposition d'un discours, puis d'un autre, singulier. Le lieu de théâtre est dévolu momentanément à une autre activité. Ce qui prépose directement l'adresse à une portée politique.

Ici, maintenant, le lieu est commutédans l'urgence.

Ce qui rend compte de cette urgence : le déficit d'agora dans notre démocratie endroit.

Commuter le lieu :l'art contemporain

Pour Jean Baudrillard (L'Echange symbolique et la mort) l'échange ' la commutation ' des signes dans la société contemporaine est permise par leur égalité, dans l'abolition de leur hiérarchie symbolique ; autrement dit, leur nullité symbolique respective.Devant nous, lors de ce(s) rendez-vous, la commutation du lieu, le théâtre en agora circonstanciée, charge la parole : parce qu'elle ne trouve pas à se déployer ailleurs que dans un lieu qui n'a pas été prévu pour elle. Et s'y installe pourtant. Par défaut d'un espace, d'une occasion ; l'enjeu de la présente rencontre est notamment cela : la conversion des lieux, et la mise en fonctionnement d'une politique trouvant à se déployer à travers l'urgence qui la presse et les méthodes qu'elle invente.

Le déplacement esthétique ayant cours devant nos yeux d'autres acteurs, d'autres paroles porte donc aussi les rendez-vous d'Ars Industrialis sur le terrain politique de l'usage des lieux.

Ces rencontres sont de l'art contemporain alors en cela : elles disposent une donne esthétique à portée politique. Appareil agorique, et chronicité des rencontre, portant, dans cette configuration, auprès des personnes présentes, un efficace politique.

Samuel Zarka
juin 2008

(1) J'emprunte l'expression à l'artiste Sylvie Blocher