Texte groupe ©ultu®e appels13

Publié par tricordeau le 6 Octobre, 2009 - 14:34
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Texte et visuels réalisés par le groupe ©ultu®e appels13 (Marseille)

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©ultu®e? Santé?™ Édu©ation? Justi©e? ®e©he®©he?

 

" Il faut participer pour sentir "

André Leroi-Gourhan

«L'humanité change un peu d'espèce chaque fois

qu'elle change à la fois d'outils et d'institutions»

André Leroi-Gourhan

 

 

 

Qu'est-ce que la culture?

Alors que la cité phocéenne est désormais élue capitale européenne de la culture on est en droit de se poser la question.

 

 

L’espace de la culture : le matériel et l’esprit

 

Le mot culture si l'on en croit la philosophe Hannah Arendt dans "la Crise de la culture" est d'origine romaine. Il vient du latin « colere » : cultiver, demeurer, prendre soin, entretenir, préserver et renvoie au commerce de l'homme avec la nature, une nature qu'il tente de soumettre afin qu'elle le serve.

Par extension ce concept désigne aussi le culte voué aux dieux, créateurs et maîtres de la nature et donc la production des objets du culte par l'intermédiaire des arts.

 

Cette première approche nous permet de poser deux composantes d'une part la nature comme milieu matériel cultivable et d'autre part l'esprit comme milieu symbolique cultivable lui aussi.

Mais le lien qui se tisse entre le matériel et l'immatériel n'est toujours pas résolu, l'équation est incomplète.

Le trait d'union entre ces deux concepts est clairement exposé par Bernard Stiegler dans le film « The Ister » lorsqu'il nous invite à examiner la question de la mémoire.

Ainsi il décline deux systèmes de mémoires, la mémoire génétique (ADN) et la mémoire nerveuse (système nerveux central, cerveau...) comme supports de stockage des informations, l'une assurant la transmission des caractères de l'espèce de génération en génération et l'autre permettant d'accumuler l'expérience.

 

Les limites qui se posent lorsque l’on considère ces deux mémoires est que non seulement l'expérience accumulée durant une vie s'éteint à la mort de son hôte mais aussi qu'il ne peut y avoir de lien entre ces deux mémoires.

En d'autres termes l'expérience individuelle ne peut se transmettre à l'espèce, ces deux mémoires sont autonomes et imperméables.

 

 La culture : le don de l’expérience, sa  transmission

 

Le nouveau problème qui se présente à nous est donc la question de la transmission ou comment faire don de son expérience aux autres ?

C'est une troisième mémoire qui remplit ce rôle, la mémoire technique qui embrasse une généalogie allant du silex taillé au ipod.

Évidemment les premiers outils ne sont pas des objets de stockage de la mémoire à proprement parler comme une feuille de papyrus, un livre ou un ordinateur mais ils gardent en eux les stigmates d'une expérience accumulée et d'un savoir-faire mis à disposition des archéologues et des générations futures. Cette troisième mémoire inscrite aussi bien dans les objets usuels, les supports de mémoire ou les œuvres d'art est la condition de la constitution de la culture.

 

Art et techniques : des incarnations de la pensée

 

La technique ou « tekhné » est un mot d'origine grec signifiant savoir-faire, art, sa traduction latine, « ars » désigne littéralement les arts. Les arts et techniques font non seulement le lien entre la matière et l'esprit mais ils permettent dans le même temps une mise à disposition de la pensée qui s'incarne dans une production, ce que l'ethnologue et historien André Leroi-Gourhan nommait dans son livre "le geste et la parole" le phénomène « d'extériorisation ».

Ce phénomène de projection hors de soi et d'archivage dans la matière permet de constituer un héritage culturel transmissible à son tour par des arts et techniques que sont la langue, l'écriture, la lecture, la peinture, la cuisine, le cinéma, le théâtre, la musique, la poésie, l'éducation, la maçonnerie, l'ébénisterie etc...

Ces « cultes » ont en commun qu'ils réclament une pratique, qu'il s'agisse d'une pratique de l'instrument de production ou d'une pratique de la critique.

Or ces pratiques culturelles disparaissent au profit d'une consommation

culturelle .

En effet depuis l'apparition de ce que l'on nomme la culture de masse et les industries culturelles, les œuvres de l'esprit tendent à se découpler de toute pratique et à perdre leur substance. Mais avant de pousser plus avant notre réflexion il convient de définir ce qu'est l'industrie dans un premier temps et ce qu'est la masse dans un second temps.

 

De l’objet unique à la série…

 

L’industrie est l'ensemble des activités humaines tournées vers la production en série de biens ; elle sous-entend une certaine division du travail, contrairement à l'artisanat, une notion d'échelle, on parle de « quantités industrielles » mais avant tout un appareil de production. Cet appareil de production consiste en un système technique pourvu d'outils de production, et de diffusion. Dans le cas de l'industrie télévisuelle cette chaîne de production est constituée en un système de captation de l'image et du son (caméra, éclairage, microphone) s'appuyant sur un réseau de distribution (hertzien et désormais numérique) et un appareillage de projection (télévision équipée de haut-parleur) sans compter le système de production et d'acheminement de l'énergie. Ce schéma peut aussi bien s'appliquer à l'industrie du livre, la presse, la radio, le disque ou plus récemment les industries du Net.

 

 

Et de l’individu à la masse

 

Le second terme qui mérite quelques éclaircissements est le mot masse. Ce concept est introduit par Gustave Lebon dès la fin du XIX° siècle sous l'appellation de « psychologie des foules ». Lebon parle de « loi psychologique de l’unité mentale » et « d'âme collective » pour caractériser son époque qu'il nomme d'ailleurs « ère des foules ». Ce concept est prolongé par Sigmund Freud en 1921 dans « Psychologie des masses et analyse du moi » où il analyse le cas de deux institutions utilisant des mécanismes collectifs, à savoir l'armée et l'église. La masse dans ces deux ouvrages désigne l'agrégation d'individus autonomes en une foule qui tend à s'homogénéiser vers un objet, culte de dieu, culte de l'état, mais aussi culte pour une œuvre d'art, une rock star, une équipe de football etc …

 

Neveu de Freud, Edward Bernays, fasciné par le travail de son oncle et de Lebon, utilise ces théories dès les années vingt en travaillant notamment pour l'industrie américaine du tabac. Son ouvrage manifeste « Propaganda » édité en 1928 présente la démocratie comme un système organisé par un gouvernement invisible utilisant des « techniques servant à enrégimenter l'opinion », les « mass-média » (cf. Propaganda, éditions Zones, 2007, p.33). Ces techniques sont citées par Bernays : imprimerie et journaux, chemin de fer, téléphone, télégraphe, radio, avions.

 

Ce livre inspirera celui qui « sortait son revolver lorsqu'il entendait le mot culture », le Ministre du Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande, Joseph Goebbels.

C'est dans ce contexte que Theodor W. Adorno et Max Horkheimer forgent en 1947 dans la Dialectique de la Raison ce terme d'industrie culturelle.

Ces industries sont nées au début du XX siècle en calquant leur modèle sur celui du Fordisme (cf. article de Bernard Stiegler, « Arreuh, Arreuh » dans la revue Ravages N°2 p. 98). Le modèle de Henry Ford a fait de l'ouvrier un prolétaire en transférant son savoir-faire dans la machine (cf. la scène culte des Temps modernes de Charlie Chaplin), il en est de même pour le fordisme culturel qui prolétarise à son tour non plus les corps mais les esprits. Il s'agit donc de produire à moindre coût, des produits fabriqués en série, massivement diffusés et dont on s'efforcera de faire la promotion à l'aide du marketing.

 

Les réseaux supports de synchronisation des affects et des idées

 

Les techniques constituées en réseaux permettent de diffuser l'information avec une efficacité fantastique et signent leur apogée avec la télévision puis Internet. À l'aide de ces outils Bernays inventera la propagande industrielle sous le nom de « public relations », appelé aujourd'hui marketing. Cette ingénierie diffuse des images, des sons, des mots et expressions et donc des concepts, des symboles, des sensations et des idéologies à grande échelle, l'échelle industrielle. Cette hyper diffusion couplée à un appareillage comme la télévision permet de constituer par synchronisation des consciences des phénomènes d'uniformisation (cf. Article de Paul Virilio, "La grande régression" dans la revue Ravages N°2 p. 36 où il parle de synchronisation des affects) constituant ainsi la masse dont le mode de calcul est l'audience. l'hyper marché des consciences est né.

 

Au Fordisme son Prolétaire…et à l’Industrie Culturelle son Consommateur

 

Le problème ne réside pas dans la diffusion de masse des objets culturels nous rappelle Arendt (La crise de la culture, éd. folio essais, 2008, p.266), on peut même s'en réjouir.

Cette diffusion à grande échelle n'altère en rien ces mêmes objets.

En revanche leur nature est atteinte quand ils sont modifiés.

Ce processus consiste en une digestion qui transforme et déforme Mozart en comédie musicale, Che Guevara en icône dépolitisée, Tintin en mascotte de fournitures scolaires, Le cassoulet de Castelnaudary en poêlée surgelée, un chanteur en singe du play-back, un peintre en marque de voiture, une chanson en ritournelle de réclame, un champion en homme-sandwich publicitaire etc... Les industries culturelles accouchent ainsi du loisir.

Dans l'usine fordiste le travail devient emploi et l'ouvrier (celui qui œuvre) perd son savoir-faire et devient prolétaire.

Dans l'usine culturelle la culture devient produit et l'amateur,(celui qui aime) perd son savoir-vivre et devient consommateur.

Le consommateur de produits culturels erre dans l'hypermarché des loisirs il se gave d'images, de sons, d'arômes, d'objets et de slogans mais ne produit plus rien et ne participe plus à rien, son temps est consommé comme « life time value », littéralement « valeur de temps de vie » (cf. Jeremy Rifkin, L'âge de l'accès: la vérité sur la nouvelle économie, La Découverte, 2000).

 

Le Prolétaire total

 

Désormais la matière exploitée n'est plus seulement le corps du prolétaire mais bien aussi son esprit comme « temps de cerveau disponible », c'est l'ère du prolétaire total!

Le prolétaire total est un marché à conquérir, une cible marketing et une variable d'ajustement. Ses frustrations, ses rancœurs, ses angoisses, sa bêtise, ses peurs et sa violence grandissent à mesure qu'il est dépossédé de son existence, il s'agrège parfois en groupes grégaires, l'homme totalitaire de Arendt n'est pas loin...

« Les gens dépendent de nos produits pour gérer leur vie quotidienne, et à ceux qui

voudront être soulagés de leur inexorable ennui, nous raconterons des histoires »

New York Times PDG d’AOL-Time Warner, M.Gerald Levin.

 

De la nécessité de distinguer art et culture

 

Malgré ces éclaircissements, il est une confusion largement répandue amalgamant art et culture. Certes les mots ars et tekhné tendent à se confondre étymologiquement mais les arts font partie de la culture et n'en constituent qu'une bribe.

 

En effet la définition et la reconnaissance des arts possèdent des limites mouvantes et ne cessent de conquérir de nouveaux territoires épousant entre autres les progrès des sciences et techniques. Ainsi l'astronomie était un art durant l'antiquité et la peinture un art mineur pendant la renaissance avant que des personnalités comme De Vinci ne considèrent les pratiques picturales comme « causa mentale », œuvre de l'esprit. L'évolution dans l'esprit du public de la place de disciplines comme la photographie, le cinéma ou la BD est d'ailleurs particulièrement éloquente.

On peut se risquer à affirmer que cette réduction ou cette confusion entre culture et art coïncide, ou dans tous les cas s'est institutionnalisée, avec la création par le Général de Gaulle, en 1959, de l'ancêtre du ministère de la culture : le ministère des affaires culturelles dirigé par André Malraux.

Au moment même où les industries culturelles et tout particulièrement la télévision prenaient leur « envol », la création de cet organe d'état constitua sans doute une réaction à la montée en puissance des industries culturelles et contribua dans le même temps à promulguer une « labellisation de la culture », autrement dit la création d'une aristocratie culturelle, ceux que Dubuffet appelait en 1968 dans « Asphyxiante Culture » les enculturés. (cf. De l'éducation populaire à la domestication par la « culture » - Monde diplomatique - Mai 2009 p.4)

 

En conclusion la question de la culture n'est pas tant de hiérarchiser ce qui relèverait ou non de la culture. Cet exercice serait forcément soumis à des expériences esthétiques et donc à des jugements empiriques et arbitraires. Il ne s'agit pas non plus de s'enferrer dans le relativisme systématique le fameux « goûts et couleurs », mais bien de considérer la pratique, la participation et la contribution comme condition d'existence de la culture.

 

 

De l’utilisateur pris dans la nasse de la culture industrielle…

 

Il nous faut donc examiner les processus de production de la culture au sein de ce que Bernard Stiegler nomme la société hyper-industrielle.

Cette société qui est la nôtre constitue le nouveau milieu technique dont il faut s'emparer. Ce milieu est la société réseau ou société réticulaire et a cette particularité comme le filet (« retis » en latin) à la fois de diffuser et capturer les informations. « La carte est fermée » nous dit Hakim Bey dans son livre TAZ (éd. L'Éclat, 1997, p.16).

Virilio parle même de fin de la géographie. La fermeture de la carte est non seulement une fermeture géophysique, « la dernière parcelle de Terre n'appartenant à aucun état-nation fut absorbée en 1899 » et notre planète nous rappelle tous les jours ses limites, mais aussi une fermeture symbolique, sociale et donc humaine puisque les objets qui nous entourent (ordinateur, pda, téléphone, lecteur mp3, GPS...) qui sont des supports de mémoire et potentiellement des instruments et outils culturels tendent à s'intégrer au réseau internet.

Aussi chaque utilisateur est systématiquement tracé, évalué tout en ayant à portée de main le plus puissant réseau culturel de l'histoire de l'humanité. Face au développement d'Internet (web 2.0 en particulier) et à l'émergence d'une économie de la contribution (wikipédia, open source, logiciel libre, blog, myspace, youtube, peer to peer etc...) les industries culturelles tentent de conserver un système devenu caduc en favorisant l'émergence de lois réactionnaires et liberticides (Davsi , rapport Olivennes, loi Hadopi, Loppsi) ceci afin de maintenir les "consommateurs de produits culturels" dans leurs circuits de distribution, alors que se pose en premier lieu un problème de financement des œuvres de l'esprit.

« Il faut être capable, pour conserver les marges, de maîtriser toute la chaîne : contenu, production, diffusion et lien avec l’abonné. »

J.M. Messier

Deux scénarios s'offrent donc à nous. D'une part une société où l'ensemble de l'appareil de captation, de production, de diffusion et de stockage des informations est instrumentalisé dans un but de surveillance, de rationalisation et d'évaluation des

comportements et des échanges (matériels et symboliques). Une société de contrôle, dont parlait Gilles Deleuze, à côté de laquelle le roman de Georges Orwell « 1984 » ferait figure de conte pour enfant.

Certaines dispositions récentes nous laissent d'ailleurs présager le pire, fichier base-élève, veille de l'opinion dans l'éducation, Hadopi...

 

...À l’humain producteur de (sa ?) culture

 

D'autre part un second horizon s'offre à nous sur le modèle du web : Une société d'échange, de participation et de contribution. Une société qui permettrait de rendre à la culture la place qui est la sienne.

Cette perspective exige un travail critique pour la rendre possible. Un travail de déconstruction ambitieux réexaminant des questions telles que la place de l'école, du travail, des méthodes de calcul et de redistribution des richesses et un examen attentif des moyens de production et de financement de la culture.

Le mot culture étant entendu en son sens premier, plein et globalisant de cultiver au quotidien.

Cultiver son corps, son esprit, son champ, son jardin, ses amitiés, sa famille, ses amours, sa musique, son dessin, sa peinture, sa cuisine, sa couture, son tricot, son blog, sa lecture, sa danse, son apparence, son hygiène, son écriture, son maquillage, ses goûts, sa planète, son commerce, son entreprise, sa religion, son association, son coup droit au tennis, son crochet du gauche, son regard, son oreille, son intérieur etc...etc…

 

Rendre à la culture sa place signifie quelle est la condition même de l'humanité face aux lois de la nature, à la loi du plus fort, à la violence,à la misère symbolique et à la bêtise systémique.

Elle est la condition du vivre ensemble comme sublimation des pulsions, comme transmission d'un héritage, comme soin porté à soi, aux autres et à son environnement.

Elle est l'expression d'homo sapiens, l'animal sage qui de génération en génération voit plus loin car il est perché tel un nain sur les épaules des anciens (d'après Bernard de Chartres, philosophe, XII° s.).